Il y a sur ce sujet aussi beaucoup de choses à dire, mais pour commencer, je me dois d’aborder toutes les facettes que peut représenter cet unique mot afin de bien comprendre de quoi on parle. Car le problème, c’est que dans beaucoup de langages il n’y a pas de différence pour désigner ce qui se rapporte à la relation entre individus et ce qui se rapproche plus d’un état d’être où l’amour peut être redistribué, partagé, donné. On trouve d’abord l’amour de la relation à deux, l’amour des parents envers leurs enfants et réciproquement, L’amour des autres en général, et aussi l’amour plus puissant de ceux qui se consacrent entièrement aux autres.
En effet dans ce que l’on appelle généralement une relation d’amour entre deux individus, on trouve plein de choses qui n’ont parfois rien à voir avec l’amour. Et peut-être encore moins dans la relation « amoureuse ». Bon, je ne voudrais avoir l’air rabat-joie, il y a bien des fois où il y a des sentiments sincères. Mais quand même, quand on creuse un peu, on trouve souvent des relations inconscientes de dépendances et surtout des relations où il y a une demande très forte justement en termes d’amour et/ou de reconnaissance, de l’un ou de l’autre, voire pire, des deux. En effet, comment peut-on construire une relation durable sur la base d’une demande que l’autre n’est pas à même de remplir, car étant lui-même en demande ! Dans le second cas, si l’un est demandeur et l’autre à même de répondre pendant un temps à la demande, comment une telle relation peut s’inscrire dans la durée si ce déséquilibre perdure sans sortir de cette dépendance affective à sens unique. Et là, on reste dans des schémas simples et généraux, sans tenir compte de tout ce qui fait la richesse mais aussi la difficulté des relations humaines.
À ce point, il est donc important de comprendre que je ne parle pas de l’amour sentiment. En effet, ce dernier va bien souvent à l’encontre du processus de connaissance de soi et de l’autre, car comme on le dit souvent dans ce cas « l’amour rend aveugle ». Mon épouse a toujours trouvé regrettable le fait que je ne sois jamais tombé amoureux et encore pire le fait que j’ai du mal à dire « je t’aime ». Je ne l’en aime pas moins, mais pour moi, à ce niveau, les mots ne représentent pas grand-chose. Ils ne sont pas représentatifs de ce qu’est mon « état d’amour ». Par contre quand je la serre dans mes bras pour un instant de tendresse, il se dégage de moi quelque chose de plus fort qu’un simple sentiment, mais cela se passe surtout à l’intérieur et transparaît peu à l’extérieur. Mon problème vient peut-être du fait que je ne sais pas traduire en mots ce ressenti. Ceci ne fait pas de moi un être froid et sans aucun sentiment, bien au contraire, mais pour ce qui est de l’amour, c’est pour moi quelque chose de permanent et de naturel qui ne varie pas en fonction des sentiments et de l’humeur.
J’ai utilisé un peu plus avant le mot reconnaissance, il a son importance, car pour avoir observé le comportement des gens, il m’est apparu que bien souvent une des premières, pour ne pas dire la première motivation des gens dans la vie est un besoin, une demande de reconnaissance, même si elle est la plupart du temps totalement inconsciente. Cela transparaît à tous les niveaux relationnels d’un individu dans la société, quel que soit sont âge. Et plus on manque ou on a manqué de reconnaissance et donc d’amour pendant l’enfance plus cette demande est forte. Car cette reconnaissance passe forcément à travers l’amour, en particulier celui des parents. Quand on a compris, il est assez facile de percevoir ce manque. Par exemple quand la conduite d’un individu paraît incompréhensible, il suffit parfois de se poser la question « que cherche-t-il à obtenir à travers son comportement ? ». Sans trop se creuser les méninges, on arrive souvent à des communs comme l’argent, la célébrité, le pouvoir … mais si l’on va plus loin dans le raisonnement, au travers de ces choses c’est avant tout de la reconnaissance et donc de l’amour qu’il recherche. Parce que la plus belle forme de reconnaissance, c’est l’amour et que c’est un besoin inaliénable pour tout individu.
Et s’il existe une telle demande à la base, c’est parce que bien souvent ce qui manque vraiment, c’est celui qui me paraît un des plus importants, l’amour de soi-même. Attention, je ne parle bien évidemment pas là d’un amour narcissique. Il est vrai que beaucoup de personnes qui n’ont pas reçu suffisamment d’amour à des moments où la demande est normale comme pendant l’enfance, restent ancrées dans cette demande une fois adulte, qui plus est, n’ayant bien souvent pas eu l’exemple d’adultes capables de « donner » de l’amour, ils n’ont même pas idée de la manière dont cela fonctionne. Du coup, l’amour de soi n’est absolument pas inné alors qu’il est pourtant primordial. Le scénario idéal serait que chaque individu acquière cet amour durant son enfance à travers l’amour et la reconnaissance de ses parents.
Malheureusement on en est loin, et du coup pour pallier à cette déficience, c’est à chacun d’essayer d’apprendre à se connaître, à se re-connaître et finalement à s’accepter tel qu’il est, en faisant si possible abstraction de toutes les fausses idées, les soi-disant conventions et valeurs parfois hypocrites de notre société. Cette forme de reconnaissance, cette fois individuelle, est un élément important, qui s’exprime dans le mot lui-même par l’idée de faire connaissance à nouveau (re-connaissance) avec soi-même et peut-être aussi par le mot naissance que l’on y trouve. L’acceptation découle d’une prise de conscience honnête et sincère de soi-même et c’est dans cette démarche que l’on trouve l’amour de soi. Ce n’est d’ailleurs que suite à ce genre de reconnaissance, à petite ou à grande échelle, que l’on peut commencer à se changer si on le désire. Mais cela est un autre sujet. Ce n’est donc qu’en s’aimant d’abord soi-même que l’on peut acquérir une forme de non-dépendance à la reconnaissance et à l’amour des autres, car on devient pour ainsi dire son propre fournisseur et il n’y a plus alors aucune limitation en termes d’approvisionnement. C’est de cette manière que l’on peut passer à la suite, c’est-à-dire aimer l’autre, l’autre pouvant être à cette étape tout le monde ou une personne en particulier. Car l’Amour est avant tout un Don, ce n’est pas quelque chose qui se réclame, mais quelque chose qui se donne.
Je reconnais, pour l’avoir fait, que faire le travail de la connaissance de soi n’est pas chose aisée même si l’on a au départ une certaine conscience de soi. Accepter de se regarder dans le miroir avec toute la franchise nécessaire demande parfois une certaine volonté, voir un certain courage. La connaissance et une conscience plus étendue vont ensuite de paires tout au long du travail que l’on effectue sur soi-même, mais aussi au travers des autres. Car les autres sont indissociables dans l’apprentissage, d’une part parce que l’image qu’ils nous renvoient est aussi importante que l’image que nous nous faisons de nous-mêmes et d’autre part parce qu’il est impossible de se connaitre au travers de notre seul et unique référentiel. La compréhension du fonctionnement de l’être humain que l’on acquière à travers les autres nous permet aussi en retour de mieux comprendre notre propre fonctionnement, qui nous permet à nouveau de mieux comprendre les autres et ainsi de suite jusqu’à un point critique où la re-connaissance, la prise de conscience, et l’acceptation nous amènent à l’amour de soi. Au fur et à mesure de cette progression vers l’acceptation, il faut aussi s’évertuer à bannir toutes formes de jugements envers soi-même et implicitement envers les autres. C’est aussi cela l’amour, l’acceptation des choses et des autres sans jugement, sans critiques. D’ailleurs, inversement, le fait de faire ce travail modifie un autre aspect de l’existence relatif cette fois-ci au jugement des autres. Car si l’on est dans « l’Être », implicitement on est plus dans le « paraître ». Ayant accepté ce que l’on est, le jugement des autres n’a plus aucune importance, il n’est plus besoin de se comporter pour faire « comme si … » face aux regards des autres.
Cette acceptation de soi est aussi une des facettes de ce que l’on appelle le bonheur. J’ai toujours dit à ceux qui voulaient bien l’entendre que la recette du bonheur était de « savoir se contenter de ce que l’on a », mais dans le sujet présent, on pourrait plus précisément dire « apprendre à se contenter de ce que l’on est ! ». Mais cela ferait aussi un autre sujet, même si tout ceci relève bien de la même « tambouille ».
Il n’est donc pas égoïste de s’occuper de soi, si cela procède d’une démarche allant vers le véritable amour de soi, sachant que cette ultime étape nous amènera aussi à la conscience de l’autre, et que débarrassé du besoin de « se sentir aimé » pour combler un manque, on pourra alors entretenir une relation en toute sérénité avec tout ce que l’on pourra donner, apporter à l’autre, sans aucune arrière-pensée ni frustration, et donc avec toute la joie que cela confère.
Jésus nous a enseigné que l’amour était la voie. Je dirais l’une des voies, ou plutôt la finalité de toutes les voies. Bouddha nous a montré une autre voie, celle de l’esprit, de la libération du mental. Mais finalement ces deux voies ne sont-elles pas deux facettes d’une même chose. Comme je l’écrivais ci-dessus la connaissance de soi amène à l’amour de soi et donc à l’amour des autres. N’est-ce pas là la logique qui démontre que l’un ne va pas sans l’autre. Le dépassement des préjugés et des limitations de notre mental amène systématiquement à un état « d’Être » qui est un état « d’Amour ».
Et cet état d’être participe grandement à tout un tas de petits et de grands sentiments de joie et de bonheur au quotidien. Si chacun était à même de vivre cet état, la vie en serait grandement simplifiée et autrement plus joyeuse, car cet amour suscite le respect des autres et de toutes choses. De plus dans cette situation, chacun se trouve dans un mode de don permanent, toujours en surplus, sans aucune demande ni attente, ce qui fait que tout ce que les autres vous donnent de la même manière est reçu comme un immense cadeau source d’une joie ineffable.
Mais l’Amour qui transparaît pendant l’expérience est plus lié à ce sentiment d’appartenance au « Tout » qui nous envahit comme une félicité comme celle que peut ressentir un enfant dans les bras de sa mère. Cet amour apparaît comme implicite du fait de cette unicité avec la Création mais aussi dans la mesure où l’on reconnaît que « l’autre » fait aussi partie du « Tout » et que face à l’autre, il n’est donc même plus possible d’avoir un quelconque ressentiment, puisque nous ne procédons que d’une seule et même entité, d’une même nature. Dans cet état d’être, l’amour n’est plus une chose que l’on doit se forcer de donner à un tiers, il apparaît comme unique relation possible.
On voit donc que l’amour mène implicitement à la conscience du « Tout » et inversement. Ce ne sont donc que deux facettes d’une seule et même chose, d’un même état.